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Ne t'excuse jamais - Never say sorry

Un de mes amis avait pris l’habitude de me répéter: « Ne t’excuse jamais ». Il n’avait pas le choix, le pauvre. Je m’excuse en permanence. Quand quelqu’un me heurte dans la rue, je dis pardon avant même qu’il ait eu le temps de s’excuser – ce qui fait qu’en général, c’est lui qui me jette un regard peu amène et proteste ; quand je veux passer une porte en même temps qu’une autre personne, je m’efface en m’excusant ; si un passage est étroit, je m’écarte, dis pardon, et laisse la personne passer. Quand j’interroge quelqu’un, je dis "Excuse-moi, puis-je te poser une question ?" Quand je ne suis pas d’accord avec quelqu’un, je m’excuse encore. Pourquoi ? Est-il impossible que j’aie raison ? Ne puis-je pas exprimer mon avis aussi ? En fait, je m’excuse d’être qui je suis. Je suis convaincue que ce que je suis heurte les gens. Que je suis inadéquate.

 

 

Mon ami avait raison. Je ne devrais pas dire pardon à tout bout de champ. D’abord parce que j’ai le droit d’exister, comme tout un chacun. Et même, pourquoi pas, d’être différente. Je ne devrais pas être persuadée automatiquement que si quelque chose ne va pas, cela vient forcément de moi. Tout le monde pose des questions aux autres, je ne devrais pas être plus gênée de poser les miennes qu’eux les leurs. Ils peuvent toujours ne pas répondre s’ils n’en ont pas envie.

 

Je pense que « pardon » est le mot le plus fréquent de mon vocabulaire. Je sais que je suis ni mieux ni pire que les autres. Enfin, le suis-je vraiment ? Il paraît évident que j’ai encore du travail à faire à ce sujet. D’ailleurs, connaissez-vous un bon thérapeute ?

 

 

J’ai promis à cet ami d’arrêter de m’excuser. Je sais parfaitement pourquoi mon attitude est stupide. Lui-même ne s’excuse pas. De quoi devrait-il s’excuser ?

 

Certaines personnes utilisent le mot « pardon » comme joker pour se donner le droit de mal agir. Quand ils ne veulent pas attendre, ils nous poussent volontairement puis disent pardon. Si l’on proteste, c’est eux qui sont outrés. Est-ce que s’excuser nous donne le droit d’être brutal ou grossier ? Non, bien sûr. Les enfants font parfois cela aussi. Ils frappent un camarade, s’excusent, et considèrent que l’incident est clos. Qu’ils pourront recommencer autant de fois qu’il leur plaira.

 

Cet ami m’a donné à réfléchir sur ce tic langagier.

 

 

Et puis, soudainement, il s’est excusé lui-même. Parce qu’il avait été indélicat, agressif. Qu’il s’était conduit en ennemi plus qu’en ami. Qu’il m’avait fait mal. Il a brandit ce « Excuse-moi » comme une arme, une arme tournée contre moi. Ses excuses signifiaient : Ne t’avise pas de protester, ne dis rien, ne te plains pas. Arrête de pleurnicher, a-t-il ajouté. Et il avait une bonne raison pour cela. Il souffrait assez comme cela, il ne pouvait en supporter plus. Etait-il donc si difficile pour moi de comprendre que cela lui était très pénible de me faire de la peine ? Qu’il en souffrait plus intensément que moi ?

 

 

J’ai bien retenu la leçon. Je travaille activement à retirer ce mot de mon vocabulaire. J’ai trouvé cette dernière façon d’utiliser les excuses comme étant de loin la pire. C’est agressif, cela veut dire : tu m’importes si peu.

 

Peut-être nos ennemis sont meilleurs professeurs que nos amis ?

 

 

Maintenant je dis « Je suis désolée de ne pas être désolée »! Je sens bien que cela n’est pas parfait. Mais, je suis en progrès, n’est-ce pas ?

 

Je ne peux plus demander à mon ami ce qu’il en pense. Ce n’est plus mon ami. Alors, à vous de me le dire.;o)

 

 

One of my friends used to tell me: Never say sorry. He said it all the time. Poor one, he had to. I'm excusing myself non stop. When someone pushes me in the street, I say sorry before that person has the time to excuse himself (and usually he acts as if I had pushed him when he hears me); when two of us want to go through the same door, I'm the one who says sorry and let the other person come in; when I meet someone on a narrow path, I say sorry, stop, and let him pass first.  I say sorry too when I want to ask something,  "Sorry, can I ask you a question?" When I disagree with someone, I excuse myself again. Why ? Can't I be right ? Am I not entitled to express my ideas too ?

In fact I excuse myself for being me. I'm convinced that being me is a problem in the first place. That I'm inadequate.

 

My friend was true. I shouldn't say sorry. First, because I have the right to exist as every human being, and why not, being different too. I shouldn't presume that if something is wrong I am automatically responsible of it. To communicate people ask questions. I shouldn't be afraid of asking my questions when others aren't. They have the right not to answer if they don't want to.

I think that sorry is the most frequent word in all my vocabulary. I know I am as good as everyone, well am I, really? I suppose there is still work to be done on that subject. By the way, do you know a good therapist ?

 

I promised my friend I'll stop saying that. I understand perfectly well why I shouldn't. He himself never says sorry. Why would he ? He has nothing to be sorry about.

Some people use the word"sorry"as a wild card to gain the right to act badly. They don't want to wait, they push you deliberately and say sorry. If you protest, they look at you as if you had no right to. Is saying sorry a way to gain the right to act badly? It is not! Some kids do that too. They hit other kids, then say sorry, and consider everything is forgotten, and they can do it again the next minute.

That friend really made me think about this habit of mine.

 

And then, suddenly he said sorry. Because he had acted badly. Not like a friend, rather like an enemy. He hurt me by doing so. And his sorry was a weapon. Armed against me. This sorry meant : don't dare to protest or react or complain. He added : stop whingeing. He had a clear explanation for this. He was suffering enough. He couldn't bear more suffering. Couldn't I understand that hurting me was something he found really painful? That his suffering was way beyond mine?

 

That taught me the lesson. I'm working very hard on removing that word from my vocabulary. That last way of using "sorry" is the worst of all. It's hurtful. It says : you don't matter.

Perhaps enemies are better teachers than friends?

 

Now I say "I'm sorry I am not sorry". It's not perfect, I know. But It's better, isn't it ?

I can't ask my friend. He isn't a friend anymore. I'll have to trust you now  ;o)

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L'accès au langage

J'ai toujours pensé que le langage était ce qui nous liait. Qu'en conséquence, il se devait d'être aussi clair que possible. Apprendre des langues nouvelles et m'apercevoir tout à coup qu'un paragraphe entraperçu ou qu'une phrase entendue à la radio faisait sens pour moi alors que jusque là ils étaient indéchiffrables est un grand bonheur.  Dans mon métier d'enseignante, je me suis toujours efforcée de rendre clairs des concepts, des mots. Il m'est arrivé  fréquemment d'échouer et de lire dans les yeux de mes élèves l'incompréhension. Les enfants sont intransigeants, la flamme n'éclaire leur regard que quand on a trouvé la formule la plus directe, la plus simple, la plus épurée. Mais quelle gratification quand on la tient ! "Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément," écrit Boileau. Aisément, pas tant ! C'est une gymnastique exigeante que de s'exprimer simplement. Nous ne sommes pas coutumiers du fait, nous enjolivons, alourdissons, colorons notre langage en permanence. Parfois pour mieux éclairer notre interlocuteur, parfois pour le séduire, et assez fréquemment pour mieux le perdre ou le tromper.

Quand j'étudiais la littérature j'enrageais déjà. Venue des matières scientifiques, je n'avais pas trempé dans le même bain de langage que mes camarades et il me semblait pédant voire stupide de systématiquement renoncer aux mots usuels pour opter pour des termes synonymes mais inconnus de la majorité des gens. Qu'est-ce qui importait ? Écrire pour être compris de tous ou seulement des initiés ? Pourquoi inventer des termes techniques quand notre langue possède déjà les outils dont nous avons besoin ? Finalement, étudier un texte devient une exercice d'exclusion, une virtuosité inutile, un plaisir de l'entre-soi alors même que le but est d'en éclairer le sens. Quel paradoxe.